Bail dérogatoire : à quoi sert le délai de grâce instauré par la loi PINEL du 18 juin 2014 ?
On se souvient que la loi PINEL du 18 Juin 2014 a modifié l’article L 145–5 du Code de commerce, permettant aux parties qui remplissent les conditions requises pour que leur bail soit soumis au statut des baux commerciaux, de conclure un bail dérogeant aux dispositions de ce statut.
Si, à l’expiration du bail dérogatoire et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance, le locataire reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions relatives aux baux commerciaux (C. com. art. L 145-5, al. 2).
Ainsi, le législateur a imaginé un délai de grâce d’un mois supplémentaire pour permettre aux parties au contrat échu de se manifester dans l’hypothèse où aucun des deux acteurs n’auraient pris d’initiative.
Dans les faits de l’espèce, une société prend en location des locaux commerciaux pour une durée de six mois devant prendre fin le 1er juin 2017.
Le bailleur lui envoie le 5 juin 2017 un courrier lui rappelant que le bail a pris fin le 1er juin 2017, mais l’autorisant à demeurer dans les locaux pour un mois, soit jusqu’au 30 juin 2017.
Mais, le bailleur prend le soin d’exiger toutefois que l’occupante quitte définitivement les locaux à l’issue de ce délai.
La locataire occupante s’étant maintenue dans les locaux après l'expiration du délai d'un mois, le bailleur agit en justice pour la faire expulser et condamner au versement d’une indemnité d’occupation.
Le bailleur obtient gain de cause devant les juges du fond bordelais de la Cour d’appel.
Les juges du fond décident que le bail conclu a pris fin et que la société est occupante sans droit ni titre.
Pour ce faire, les juges rappellent le mécanisme du bail dérogatoire.
Si le bailleur souhaite éviter la transformation du bail dérogatoire en bail commercial, il doit manifester, avant la date contractuelle d’expiration du bail ou dans le mois suivant celle-ci, sa volonté de ne pas poursuivre sa relation contractuelle avec le locataire.
Elle précise ensuite, que le statut des baux commerciaux n’a pas vocation à s’appliquer si le locataire a été maintenu dans les lieux en vertu d’un délai de grâce accordé par le bailleur pour lui permettre par exemple d’organiser son départ (Cass. 3e civ., 11/01/2006, n° 05-10.217, RJDA 4/06 n° 389), dès lors que ce dernier aura manifesté sa volonté de mettre fin au contrat.
Les juges reprenant les termes du courrier du bailleur daté du 5 juin 2017, considèrent que celuici n’entendait pas proroger la durée du bail, que le maintien dans les lieux ne pouvait excéder une durée de grâce d’un mois et qu’il ne s’analysait pas en une prorogation du terme.
La Cour d’appel conclut que « la société occupante n’était donc pas titulaire d’un bail commercial, peu important que la facturation concernant cette période ait fait mention d’un loyer et non d’une indemnité d’occupation ».
Ainsi, l’occupant de locaux commerciaux titulaire d’un bail dérogatoire qui est demeuré dans les locaux plus d’un mois après le terme du bail en vertu d’un délai de grâce accordé par le bailleur ne peut pas revendiquer l’application du statut des baux commerciaux.
A RETENIR :
Même si l’arrêt rendu n’est pas celui de la Cour de cassation, il peut nous permettre de définir les conséquences de la position du locataire titulaire d’un bail dérogatoire resté dans les locaux à l’issue du bail.
- Le locataire titulaire d’un bail dérogatoire ne peut pas revendiquer l’application du statut des baux commerciaux si, avant le terme du bail, le bailleur a manifesté sa volonté de ne pas le laisser dans les locaux (voir notamment, Cass. 3e civ., 11/05/2022, n° 21-15.389, BRDA 13/22 inf. 12).
- Cependant les juges bordelais énoncent que cette volonté peut encore être manifestée dans le mois qui suit la date contractuelle d’expiration.
- Enfin, ils précisent et c’est là l’intérêt de l’arrêt, que si le bailleur a clairement exprimé son opposition à la poursuite des relations contractuelles, le maintien dans les lieux du locataire un mois après l'échéance n'entraîne un nouveau bail soumis au statut que si des actes postérieurs non équivoques de la part du bailleur permettent de considérer qu'il est revenu sur sa décision.
On relèvera que dans cette espèce, le locataire était resté dans les locaux plus d’un mois après l’échéance contractuelle en vertu d’un délai de grâce accordé par le bailleur.
Mais, comme déjà jugé par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 11/01/2006), la solution reste la même : si la manifestation de volonté du bailleur est claire, le statut des baux commerciaux ne s’applique pas.
POUR EN SAVOIR PLUS :
La charge de la preuve de cette manifestation de volonté de ne pas maintenir le locataire en place, incombe au seul bailleur.
L’insertion d’une clause dans le bail dérogatoire, ne peut en aucun cas, avoir pour effet de dispenser le bailleur de faire connaître au locataire son opposition au maintien dans les lieux.
CONSEIL :
L’analyse de cet arrêt qui s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence constante, doit inciter les bailleurs et leurs conseils à gérer avec beaucoup de vigilance la fin et la sortie d’un bail dérogatoire.
Il est impératif que le bailleur signifie à son locataire l’échéance du bail dérogatoire même si le bail dérogatoire est conclu pour une durée ferme, même au cours du mois supplémentaire prévu par la loi.
On notera que le bail initial avait été conclu pour une durée de 6 mois et contrairement à une idée reçue, le bail dérogatoire cesse dès son échéance, sans attendre qu’il atteigne 3 ans.
CA Bordeaux 08/04/2024, n° 22/00940, Sté Globe Agro immo c./ Sté Scientia Natura distribution
Source : article publié par la FNAIM le 10/09/2024