Contrat conclu au profit d’une société en cours de formation (source FNAIM)

Contrat conclu au profit d’une société en cours de formation

Il appartient aux juges du fond de rechercher s’il résulte de l’ensemble des circonstances, et notamment des mentions de l’acte, que la commune intention des parties est que l’acte soit passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

Voilà un arrêt rendu par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation qui fera l’objet d’une double publication au Bulletin d’abord, puis au Rapport annuel de la Haute cour, tant il présente un intérêt juridique.

Cette décision rendue en date du 29 novembre dernier[1*] constitue un véritable revirement de jurisprudence en matière de contrats conclus dans l’intérêt d’une société en cours de formation, comme en particulier la signature d’un bail commercial, pour les besoins de l’exploitation de ou des activités de la société nouvellement créée.

Par trois arrêts rendus le même jour, les Hauts magistrats de la chambre commerciale rappellent :

« La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits "au nom" ou "pour le compte" de la société en formation et que sont nuls les actes passés "par" la société, même s’il ressort des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte »[2*].

En faisant une interprétation souveraine de la convention des parties, les juges du fond jugeaient à bon droit que c’était la société en tant que telle qui avait conclu le contrat et non les personnes qui agissaient pour le compte de la société en formation. En conséquence, ces personnes n’ayant pas agi pour le compte de la société en formation, elles ne pouvaient pas être tenues des obligations résultant du bail commercial[3*].

Les juges de la chambre commerciale décident cependant, prenant en compte les inconvénients majeurs de cette solution, qui « a pour conséquence que l’acte non expressément souscrit "au nom" ou "pour le compte" d’une société en formation est nul et que ni la société, ni la personne ayant entendu agir pour son compte, n’auront à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable, mais non repris par la société qui engage les personnes ayant agi "au nom" ou "pour son compte" »;

Commentant cette solution, la chambre commerciale met en évidence les conséquences contradictoires de cette jurisprudence en énonçant : que cette solution « s’avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur ».

Ainsi la Haute cour, pour corriger cette contradiction, explique qu’il lui « apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité morale, décider de reprendre les engagements souscrits ».

Par cette décision, les Hauts magistrats donnent ainsi le pouvoir aux juges du fond de rechercher s’il résulte de l’ensemble des circonstances et notamment des mentions de l’acte mal rédigé, que la commune intention des parties est que le bail commercial soit passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

En confiant aux juges du fond le pouvoir d’effectuer cette recherche, la Cour de cassation donne une sécurité juridique à l’opération.

Avec cette position, la Haute cour assure au bailleur un véritable débiteur, alors que si le bail commercial était déclaré nul, en application de l’ancienne jurisprudence, le bailleur n’aurait pas eu de débiteur, ni la société, ni ses fondateurs, sauf bien sûr dans l’hypothèse où dans le projet de bail commercial, les fondateurs s’étaient engagés personnellement à reprendre les engagements de la société déclarée nulle.

Cette décision constitue un véritable revirement de jurisprudence, car elle donne aux juges du fond le pouvoir de rechercher s’il résulte de l’ensemble des circonstances et particulièrement des mentions du bail commercial, et nonobstant le cas d’une rédaction imprécise du contrat, que la commune intention des parties est claire et que l’acte est bien passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

On peut saluer la décision de la Haute cour qui apporte une certaine sécurité aux bailleurs lorsqu’ils contractent avec des représentants de société en cours de formation, qui souhaitent immatriculer leurs sociétés.

Toutefois, nous ne pouvons que conseiller aux rédacteurs de bail commercial, conclu au profit d’une société en cours de formation, de rédiger les actes au nom des fondateurs de la société en précisant qu’ils agissent pour le compte de la société en formation et qu’à défaut d’immatriculation de la société, ils seront personnellement engagés.

En rédigeant le bail dans ces termes, les parties au contrat pourront éviter le risque de l’appréciation souveraine des juges du fond.

[1*] Cass. com., 29 novembre 2023, n° 22-12865, n° 22-18295 et n° 22-21623
[2*] Cf Cass , 3ème civ. 25 mai 2023 n° 22-15313
[3*] Cf arrêt 18 novembre 2020 n°18-23239